Le soir. Le centre d’adoption commençait à plier panneaux et annonces pour les ranger, proche de la fermeture. Il y avait déjà beaucoup moins de monde, autant à l’accueil que sur les fauteuils d’attente. Même le peu de pokémon qui sautillaient au sol semblaient beaucoup plus calme, et finissaient sur les jambes de leur dresseur, pris de fatigue. Il était l’heure de manger, la plupart commençaient à sentir leur ventre gargouiller sous l’effet de la faim.
Pour une fois, ce n’était pas le cas d’Aldercy, ni de Farazen. Ce dernier avait décidé, sous conseil de Boom, à s’adonner à un petit exercice de fantôme. Le voilà donc accroché au dos d’Aldercy, affublé d’une apparence humaine. Voilà donc le Funécir en garçonnet à la peau blafarde, surmonté d’une touffe de cheveux blanc retenu par un ruban noir à motif de flamme violette. Il était planqué sous un grand pull blanc, et portait un genre de petit pantalon de la même couleur. C’était la première fois qu’il arrivait à maintenir plus de dix minutes cette forme humaine, qu’il avait façonné lui-même selon les conseils de Boom. C’était un mélange de photo, de textes, et d’humains qu’il avait vu en vrai. Il était aussi largement sponsorisé par son aîné, qui l’avait bien poussé à tenter le coup, et par ses propres apparences de spectres qu’il avait emmagasinés. Ils se l’étaient un peu joués La Redoute pour fantôme.
« Tout va bien, Farazen ? » Murmurait-elle parfois, pour n’obtenir qu’un léger mouvement de tête.
Il n’avait jamais eu l’occasion de parler. Boom avait des circonstances atténuantes sur ce sujet : ce n’était pas le cas de Farazen, qui s’était contenté d’écouter ce qui l’entourer. Parler humain ne lui était jamais venu à l’esprit. C’était un langage bien compliqué pour grand-chose. Et le pire, ça se déclinait en plusieurs langues. Le petit Farazen avait toujours trouvé ça surprenant. Il avait bien demandé à Boom, pourquoi ça se passait ainsi. Hélas, lui-même n’en savait pas grand-chose. Son aîné avait tenté de lui raconter un conte sur une tour construite par les hommes, et que chacun avait été divisé via ces langages différents pour cesser sa construction, menaçant divers personnes dans le ciel qui n’avaient aucune importance pour les gens de leur état spectral.
Farazen s’avança, pour doucement se frotter contre la joue d’Aldercy. Est-ce qu’une vraie flamme faisait cet effet sur les êtres vivants ? Quelque chose de chaud, d’agréable à toucher ? Pourtant à chaque fois qu’il tentait de rapprocher sa flamme de quelqu’un ou de quelque chose, automatiquement, ces premiers reculaient, et ces seconds s’enflammaient à leur tour. Pourquoi ? Qu’est-ce qu’était la vraie chaleur ?
« Bonjour, je peux faire quelque chose pour vous ? » Claironna doucement l’infirmière en charge des adoptions devant eux.
Farazen l’observa attentivement. Ses yeux brillaient d’une lueur irréelle, violette. Il avait du mal à cerner son flux vital sous cette forme. Il le confondait avec son propre flux, ce dernier étant pure imitation de l’original. C’était Boom qui lui avait appris ça. C’est comme ça que les fantômes pouvaient tenir une apparence presque matérielle.
« Je suis venue réserver il y a quelques jours pour un Korillon. »
Farazen se pencha doucement sur l’épaule d’Aldercy, observant l’infirmière. C’était une des premières personnes dont il arrivait à «sentir» la présence, tout proche, autre qu’Aldercy. Il avait, certes, développé un fort lien avec la dresseuse, mais ressentir ce lien d’aussi près pour autrui, c’était quelque chose. Il posa son menton sur l’épaule d’Aldercy, regardant la chargée des adoptions aller et venir, entre des panneaux et autres lieux qu’il ne pouvait percevoir sous cette forme. Il tenta tout de même d’emprunter une maigre part du flux de l’infirmière. D’un coup, il se sentit revigoré, et plus à l’aise dans son emprunte humanoïde. Inversement, l’infirmière se sentit un bref vertige, imperceptible pour Aldercy. Cette dernière pianotait sagement sur le comptoir, attendant le Korillon femelle, qui commençait à se faire attendre.
Il apparut enfin, virevoltant autour de l’infirmière. Il s’était en réalité planqué dans son petit couvre-chef depuis le début, de peur de se faire enlever de son refuge d’origine. L’infirmière venait de le débusquer, alertée par un léger son de clochette.
« Elle était là, la vilaine petite. » Commenta-t-elle, l’air faussement fachée.
Le Korillon s’étala alors de tout son long sur le comptoir, juste devant Aldercy. Il, ou plutôt elle avait décidé de rester le pif dans sa cordelette rouge et blanche, sur sa tête.
Avant que la dresseuse se penche pour le voir, Farazen glissa de ses jambes pour se réceptionner maladroitement les pieds sur le sol.
« Euhm, c’est votre … Quelqu’un de votre famille ?Hasarda l’infirmière.
- Un proche parent, on peut dire ça comme ça. »
Farazen avança le nez vers le Korillon, et le tapota avec. Le pokémon, visiblement peut satisfait de cette attention, laissa échapper un couinement à moitié masqué par un son de clochette étouffé. Il recommença plus doucement, sous les yeux surpris d’Aldercy, qui n’entendit qu’un bref bruit de protestation provenant du Korillon. L’infirmière s’apprêta à dire quelque chose, la professeur la somma de garder le silence d’un vif geste de main.
Le pokémon continua son petit manège, contre le spectre humain. Il commença à se soulever, à se montrer pleinement contre Farazen. Il bombait le torse, agitait sa corde rouge et blanche, menaçant.
Au bout d’un moment, il se calma. Se posa devant Farazen, s’agitant doucement de gauche à droite. Et enfin, grimpa sur la tête du pokémon spectre, planqué dans son foulard. Il ouvrit la bouche, mais aucun son audible humainement n’en sortit. Quelques secondes après, Farazen se découvrit un tout nouveau trait.
De l’eau qui sortait de ses yeux. De l’eau, salée. C’était froid sur sa joue. Surpris, il perdit sa forme humaine, retournant à son statut de pokémon. Face à face au Korillon, ils se jaugèrent du regard, cette fois à la même hauteur.
* Carina. Son nom, ça sera Carina. *
Surprise, Aldercy ne put qu’hocher la tête. Carina. Oui, ça sonnait bien. Après cet étrange manège, elle termina de remplir les papiers, et rappela ses pokémon dans leur ball respectives.
Une fois sortie du centre, la nuit l’acceuilla. Elle se frotta doucement les bras, avant d’être surprise par un tissu chaud qui vint se poser sur ses épaules.
« Aldercy, ça t’arrive de faire attention à toi ? »
Boom lui frotta doucement les épaules. Elle ne pensa même pas à lui faire remarquer qu’il venait de parler de vive voix étant Spectrum. La jeune soupira doucement, regardant la pokéball de Carina.
« C’est étrange. Je commence à avoir... Tu sais, cette sensation de revenir sur terre, après une longue soirée de fête. D’un coup, que la réalité s’abat sur toi. Gratuitement. T’as rien demandé, mais ça retombe. »
Les étoiles étaient invisible, caché sous d’épais nuages qui commençaient à recouvrir le ciel. Déjà, un grondement retentissait au loin.
« J’ai un pressentiment, Wade. »
Le Spectrum tendit soudainement l’oreille. Ce n’était pas souvent qu’Aldercy l’appelait ainsi. Elle avait les yeux perdus dans le vague, légèrement relevé vers le haut, fixé sur un infini dont Boom n’arrivait pas à cerner les contours.
« Sous peu, nous allons avoir un changement. Carina a fait appel à Farazen. Mais je sais qu’il y aura un autre appel. Et cette fois, ça sera pour toi. »
La pluie commença à tomber doucement. Des gouttes tièdes tombaient sur le visage d’Aldercy, passaient à travers de Boom, inquiet quant à l’état de sa compagne.
« Alder... Où tu veux en venir ? - Tu te rappelles, lorsqu’on s’est connu ? Cette sensation que tu m’avais laissé transparaître, après avoir pris possession de mon corps ? »
Il se détacha de la dresseuse, la regardant cette fois bien en face. S’il était matériel, un malaise l’aurait prit. Ces yeux avaient un terrible air de famille avec ceux qu’ils côtoyaient, fut un temps.
« .... Mon coeur se serre quand je pense à ça. S’il te plait, tiens toi à l’écart si ça venait à arriver. Je pressens une grande épreuve pour toi dans le futur. S’il te plait. Je tiens à toi, ne te mets pas en danger. »
Un son de cloche retentit dans leurs oreilles. Pas du Korillon, mais l’alarme de Gakuen, annonçant le couvre feu. Aldercy se mit en route sagement, tête découverte sous la pluie, vers sa case.
« On change, mais le monde reste égal à lui même. » Souffla doucement Aldercy, suivi par Boom.
La clochette retentit à nouveau, cette fois plus aiguë. Le fantôme pouvait sentir l’appel de Carina à travers la ball. Il préfera se taire, et rentrer dans la case, accompagné d’Aldercy dont il protégeait la tête de la pluie. Il se retourna avant de rentrer dans le bâtiment, l’illusion d’un hakama s’étant posé quelques instants dans son champ de vision. L’odeur fruitée d’un parfum fut suspendu un bref temps dans les narines de Boom, avant de disparaître complètement.